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 Amine Benchekroum

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Nombre de messages : 69
Date d'inscription : 19/04/2005

Amine Benchekroum Empty
MessageSujet: Amine Benchekroum   Amine Benchekroum EmptySam 25 Juin - 5:51:58

Le soleil se levait sur les dunes de Merzouga et Amine Benchekroun se mit à prier pour la deuxième fois de sa vie.
La première fois, il avait volé les clefs de la mercedès de son père – il ne devait pas avoir plus de 12 ans. Il voulait juste faire ronfler mais voilà, la première était enclenchée et la voiture bondit et heurta la porte du garage. Il avait prié pour que son père ne remarque rien.
Cela n'avait pas marché, bien sur, et son père lui avait passé l'envie de recommencer.
A compter de ce jour, il sut qu'il ne pourrait jamais compter sur une aide extérieure.
Mais aujourd'hui, comme le jour se levait et qu'il était à n'en point douter le seul être humain à 200 kilomètres à la ronde, après deux journées entières à ramper aux portes du désert du Sahara, il ne voyait plus rien d'autre.
Dans un murmure rauque, il délirait, brûlant de fièvre :
– Curieux, comme toutes les convictions s'écroulent quand on est désespéré ... Moi qui était presque fier de mon athéisme, me voici rampant comme un chien devant Toi. A dire vrai, je n'en sais rien :
soit tu existes soit tu n'existes pas. La première fois ne comptait pas, c'était stupide. Mais je jure que si quelque chose arrive, tu existes. Il n'y a personne à 200 bornes. S'il arrive quelque chose, tu existes et il n'y a plus moyen que je l'oublie.
Il revit en songe la nuit où ils avaient pris ces acides, Sandra et lui, pour faire l'amour à l'aube sur les dunes de Merzouga. Pour un caprice de gosse de riche, c'en était un beau !
Il ne sut jamais ce qui s'était passé. La seule certitude qu'il avait c'est qu'au momen où il eut recouvert un semblant de lucidité, il était seul. Plus de 4x4, plus d'eau, plus de guide, plus de tente, plus d'argent et plus de Sandra. Pas même un papier d'identité.
Il ne savait même pas dans quelle direction il avait rampé car au début ses sens étaient émoussés par la drogue, puis se fut la fièvre qui prit en charge le brouillage de ses perceptions.
– Lâche l'affaire Amine, tu vois bien que tu contemples l'abîme.
S'il avait pu, il se serait moqué de lui-même, tant il se trouvait pittoyable.
– Et quand tu regardes l'abîme, l'abîme aussi regarde en toi.
On avait parlé à côté de lui. Il roula sur le côté et c'est alors qu'il le vit, tenant son dromadaire par la bride.
Il sut aussitôt que Dieu existait car sans qu'il sut pourquoi, ce Haddith lui vint aux lèvres :
« N'est-il pas vrai qu'Allah a des hommes qui, s'ils sont vus, Son Nom est évoqué ? »
Ce qu'il fit.



Il n'avait pas fallu longtemps à Amine pour reprendre des forces. Non qu'il fût particulièrement vigoureux, mais plutôt du fait des soins du vieillard. Il vivait à un vingtaine de kilomètres de l'endroit où il l'avait trouvé, perché dans l'Anti-Atlas. Trois maisons, un atelier, une grange, une petite mosquée, un puit et un cheptel composé de douze chèvres, un dromadaire, un âne et quelques poules. Le vieillard s'appelait Yahya. Sidi Yahya comme il apprit bientôt à l'appeler car tous ceux qu'il vit l'appelaient ainsi, mais surtout parce que, de toute sa vie, c'était la première fois qu'il avait envie d'appeler quelqu'un 'Sidi'.
Sidi Yahya parlait peu, c'était un euphémisme. Pas un de ces mots n'était superflu. Mais chacun de ses mots plongeait Amine dans une confusion totale. Cet homme se contentait d'être, ici et maintenant,
dans la plus parfaite simplicité. N'éprouvant jamais le besoin de justifier, d'expliquer, de décrire, il lançait parfois des vérités ontologiques, posait parfois une question innocente qui détruisait toutes ses convictions.
Chaque nuit quelques hommes – les fuqaras - venaient à pied, à dos de mule, d'âne, de dromadaire où à cheval. Il lui embrassaient la main, certains pleuraient à sa vue, aucun ne parvenait à soutenir son regard – sauf un homme dont les yeux semblaient noyés dans ceux de Sidi Yahya. Rapidement, après quelques salutations d'usages polies mais laconiques, ils se dirigeaient vers la petite mosquée.
Quelques instants plus tard débuttait leur veillée. Prière, lecture du Coran, longues invocations de certains noms de Dieu, chants mystiques puis, invariablement, transe. Ils ne quittaient la mosquée qu'à une heure avancée de la nuit.
Sidi Yahya, lui, ne sortait qu'une heure environ après l'aube. Il prenait son petit déjeûner avec son épouse derrière la dernière maison, celle des femmes. Il rentrait alors se coucher, mais guère plus de deux heures. A son réveil, il faisait ses ablutions, une courte prière et se mettait au travail.
Il était cordonnier, tanneur, et maroquinier tout à la fois. Et travaillait jusque vers midi, heure de la seconde prière de la journée, puis déjeûnait en général avec sa famille. S'ensuivait immanquablement une sieste, puis quelques heures de travail avant et après la prière de l'asr, en milieu d'après-midi. Une heure avant le coucher du soleil, il s'enfermait dans sa mosquée jusqu'à ce que le soleil fut couché, heure de l'avant-dernière prière. Puis il passait un moment en compagnie de son épouse. Il renouvelait toujours ses ablutions cinq minutes avant l'arrivée des premiers fuqaras.
Un jour Amine lui demanda
– Comment se fait-il que tu pousses l'hospitalité jusqu'à leur offrir le couvert chaque nuit alors que tu vis toi-même dans un état de dénuement avancé, et surtout que c'est toi, le Maître, qui devrait être
honoré ?
Sidi Yahya sourit et prit un air angélique :
– N'ai-je pas le droit d'être un serviteur reconnaissant ?
Il reconnut là une célèbre réponse du Prophète BSDL. Un croyant fut impressionné par la quantité d'actes surrérogatoires que s'imposait le messager d'Allah alors qu'il était déjà promis, de par son rang de Prophète et le soin qu'il accordait à l'accomplissement de ses dévotions obligatoires, au Paradis.
Le Prophète lui répondit :
« N'ai-je pas le droit d'être un serviteur reconnaissant ? »




Amine resta un an en compagnie de Sidi Yahya. Certains prennent bien une année sabatique – ce qu'il n'avait pas fait : à 25 ans il achevait un PhD en Ingéniérie Financière, couplé à un Certificat d'Analyste Financier de niveau III, il avait également une licence en psychologie et parlait trois langues couramment.
Pendant un an, il resta auprès du maître, ne se séparant de lui que lorsque Sidi Yahya allait dormir ou était en compagnie de sa femme, ou encore quand Sidi Yahya accomplissait ses propres invocations rituelles – qui resteraient à jamais un mystère. Lui même prit l'habitude – qui allait se révèler fort utile ! - de ne pas dormir plus de trois heures par nuit.
Amine acquit un point de vue absolument neuf, sans a priori subjectif, une manière radicalement nouvelle de voir les choses.
Le monde, les gens, la matière, les pensées, et les sentiments ne sont rien d'autre que la perception d'une infime portion de l'onde primale. Quand l'Un s'est contracté en Lui-même pour créer « ce qui n'était que néant auparavant »,ce tsimtsum a provoqué une vibration unique modulée sur une infinité de « fréquences ». L'arbre de vie cabalistique consiste justement en une identification précise des canaux de passage du flux de manifestation , une catégorisation des paliers de création.
Bientôt il lui fut facile de repérer le rayonnement particulier des pensées - aussi détectables qu'un signal radio par un radar - puis, d'identifier la palette quasi-infinie des composantes et enfin, agissant ainsi comme un émetteur, d'y interférer.
L'Ego est si récurrent dans ses aspirations que sur le nombre infini de possibilités, seules quelques rares palettes sont effectivement déclinées autours des paires : attraction/révulsion, peur/envie ... « La prolifération vous égare jusqu'à l'heure de visiter votre tombe ».
Mais en même temps, Amine prit conscience de la nature profonde de l'espace – comme une partie de la projection de l'Un – une simple vue de l'Esprit. De ce fait, son rapport à l'espace en fut définitivement bouleversé – du fait (élémentaire) que l'Un est partout et que Partout est Un.




« Je suis l'Amant et l'aimé. Il n'y a là nulle dualité.
(...) Et dans mon anéantissement, s'est anéanti mon anéantissement.
Et dans mon anéantissement j'ai trouvé Toi. »

Sidi Yahya chantonait d'une voix chevrotante en se balançant lentement sur les côtés. Les fuqarasn formaient le cercle reprenant avec lui le choeur du conte. Le souffle rauque et saccadé de la transe mystique commençait à faire pulser les tempes des plus sensitifs de ses disciples. Amine fut le premier à se lever ce soir-là. Mais tous le premier rang se leva aussitôt après lui. Il vit ce soir là la scène qu'il vivait quotidiennement depuis plusieurs mois sur le plan de l'Esprit. Tout n'était qu'Esprit, les âmes des
fuqaras lui apparaissaient comme des miroirs réflétant la lumière vivace du Maître, tournant autours de lui comme les planètes autours du soleil. Et, comme le vide autours des planètes est en fait saturé d'ondes, de rayons et d'énergie, l'espace intersticiel autours de lui, entre lui et son plus proche voisin lui apparaissait chargé de reflets microscopiques mais scintillants du Maître. Ce fut ce jour-là qu'il vit la quintessence - et par conséquence l'aura - pour la première fois.
Un matin, Amine trouva Sidi Yahya assis en tailleur au pied de son lit. Il attendait visiblement son réveil. Amine se leva précipitamment, mais Sidi Yahya leva instantanément la main.
« Certaines choses que tu dois savoir. »
Amine ne dit rien. Il aurait aimé procéder à ses ablutions avant d'entendre ce que son Maître avait à lui dire car il était plus réceptif dans cet état. Mais il ne pouvait bouger que si son maître l'y autorisait.
Sidi Yahya reprit :
« Nous ne nous sommes pas trouvés au même moment au même endroit par hasard. Retiens bien ceci : le hasard n'existe pas. La causalité. Une chose en entraîne une autre : Adam se laisse tenter et croque le fruit défendu et voilà que nous nous rencontrons dans le désert. Ne souris pas, seul le sot et l'orgueilleux rient de la Vérité quand elle leur est présentée. Ils disent : Quoi, serait-ce une blague ?
Mais en fait ils ne comprennent pas la vérité nue et une car leurs esprits habitués à la sophistication et à la prolifération ne sait plus saisir la simplicité.
Adam, donc, croque le fruit défendu et il est chassé de sa condition primale. Causalité. Condamné à la matérialité. Rongé par le doute, le remord mais conservant le souvenir de sa condition première, il peut entamer son voyage de retour. La mystique a commencé là. Auparavant, nul besoin de sapience puisque il n'y avait que l'Intellect et son 'kun fa yakun' [Sois et il est].
Et ainsi, te voilà, qui tombe à mes pieds, encore souillé. Sais-tu seulement qu'au moment où Adam trouvait les mots d'excuse auprès d'Allah, tu l'implorais pareillement de te prouver son Existence ? Et comme à lui, il t'a envoyé le Maître pour te guider dans ton long voyage vers lui.
Amine dit : « Mais Adam était le premier homme, il n'avait point de maître ! »
Le shaykh sourit en acquiesçant :
« Que sais-tu de ce qui se passa à cet instant ? Tu crois connaître le Texte mais le Texte ne dit-il pas qu'Adam sut trouver les mots du repentir ? A quoi peut bien ressembler le repentir pour Celui qui sait parfaitement ce que renferment les coeurs et les esprits ? Non, en vérité je te le dis, à l'instant où Adam se prosternait devant le 'Kursi' [Trône] il vit le nom de Muhamad inscrit en lettres d'or et de feu et ce fut en son nom qu'il demanda miséricorde – et l'obtint. Car, en Vérité nulle Rédemption pour qui ne se connaît point. L'Ego est trop fort. Et sans maître, personne ne peut voir son Ego, car le maître est le miroir du disciple. Puis, le disciple doit vaincre la Bête qu'il a créé. Car nulle victoire sans lutte,
nul héros sans ennemi. Tel est le sens du Jyhad – le petit et le grand. Tel est ce qui t'est arrivé ...
quand tu m'as rencontré et tel est ce qui va t'arriver quand tu repartiras d'ici. »
Amine demanda timidement :
« Qui est l'Ennemi, la Bête ?
Sidi Yahya eut un air désolé et dit :
« Le miroir montre ce qui est, il ne parle pas. A toi de regarder en toi. Et d'y découvrir ce que tu cherches. »
Mohamed Amine se releva en titubant. Le froid, la peur, la douleur et la peine conjugués menaçaient de le faire paniquer. Sidi Yahya était tombé sous leurs balles.


(...)
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