En quoi, oui ?
Diego posa sa pipe sur son comptoir, le regard rivé sur le spectacle de la rue. Sa bouche s'entrouvrit légèrement. Il se rendit compte qu'il frissonnait. Cette fanfare n'était peut-être pas si gratuite que ça - bien entendu, Diego la considérait comme une pure illusion, comme la plus grande partie de ce qu'il voyait dans la Ville - les bâtiments, les êtres, la végétation ; c'était une intuition qui au fil des années s'était muée en un savoir intime, informulé. Mais cette fanfare, oui, celle-ci, avait quelque chose ! elle s'adressait à lui !
Il se précipita au dehors en attrapant son chapeau au passage, sur le porte-manteau, un chapeau plus large qu'un sombrero mais bien plus travaillé aussi, véritable cathédrale baroque, si l'on peut dire, posée sur la crypte de son cerveau. Il ne pensa pas à fermer le magasin - il s'en moquait, se rendant compte avec un rire sec qu'il n'y avait personne dans cette ville pour s'y introduire, de toutes manières. La queue du défilé était à une centaine de mètres - Diego courut sous le crachin en criant : "Hé !" - Hé qui ? pensait-il réellement qu'on allait lui répondre ? Les musiciens, les majorettes, les clowns, les ours dressés, continuaient à avancer, souriant béatement, souriant à personne, dans la rue étroite. Des odeurs de moules-frites, de barbe à papa, de fumier, parvenaient à ses narines, mais également, une légère odeur d'algues, comme si la mer était proche. Diego se fraya un chemin dans le cortège, le remontant comme un saumon remonte un cours d'eau, et la mer où il déboucha était verte.
Un jardin.
Une fête.